L'archipel des Gambier

L’arrivée aux Gambier après 28 jours de mer est un moment de grande émotion. On entre dans le lagon par la passe Nord-Ouest, bien balisée, et on se dirige vers l’île de Mangareva que l’on découvre au fur et à mesure. Les bateaux mouillent dans une grande baie bien protégée, entourée de collines très verdoyantes. Et les premiers pas à terre sont un plaisir. Gros bourg tranquille, les rues sont bordées de petites maisons avec des jardins bien entretenus, avec des buissons verts et fleuris et surtout, surtout, c’est propre. Lorsqu’on arrive d’Amérique latine, le contraste est saisissant. Ici, pas de détritus qui trainent partout, les ordures sont ramassées régulièrement, les feuilles mortes sont balayées  dans les jardins tous les matins, c’est plaisant.

 

D’origine volcanique, l’archipel  plus méconnu de la Polynésie est constitué de cinq îles hautes et 18 îlots et motus.  La quasi-totalité de la population (environ 1 000 habitants) vit sur l’île de Mangareva, seules quelques familles vivent sur les autres îles. Le bourg de Rikitea sur l’île de Mangareva est paisible et verdoyant. On y trouve une cathédrale pouvant accueillir 1200 fidèles, une école pour enfants jusuqu'à 13 ans, une gendarmerie, un bureau de poste, un centre médical avec deux infirmières, quelques épiceries dont l’approvisionnement dépend entièrement d’un bateau qui arrive une fois tous les 15 ou 20 jours, et une boulangerie, ou plus exactement un hangar où sont installés un pétrin, un four et des racks sur lesquels le boulangers déposent des grosses baguettes. Deux fournées par jour, à 05h00 du matin et à 14h00, environ 600 baguettes par jour qui partent en général dans la demi-heure de leur sortie du four. Et elles sont bonnes!

L’aérodrome accueille plusieurs vols par semaine en provenance de Tahiti, indispensables pour les Mangarévins qui ont toujours plusieurs membres de leur famille à Papetee, pour le commerce des perles  et surtout pour les enfants pensionnaires au lycée, et pour l’évacuation sanitaire en cas d’accident (ils ont in venté le verbe « evasaner »).

L’île vit essentiellement de la culture des huitres perlières. IL y a environ 50 fermes réparties dans le lagon, de taille très variable, de la petite exploitation familiale vivotant tant bien que mal à l’entreprise de 30 employés (voir texte ci-dessous).

Les îles sont très verdoyantes, recouvertes d’une végétation tropicale dense avec des arbres fruitiers qui poussent à l’état plus ou moins sauvage. Il est quand même conseillé de rechercher le propriétaire avant de se servir de fruits, il n’hésitera pas à vous en donner (gros pamplemousses juteux et délicieux, bananes, maracuja, citrons, arbres à pain, citron-oranges très amers). Tout pousse ici mais curieusement, peu de gens se donnent le mal de faire pousser des légumes. De même que la pêche est peu active alors que les poissons pélagiques ne sont pas loin. Les poissons du lagon transmettent parfois la ciguatera, il vaut mieux ne pas les manger, à moins d’être entraîné, comme les gens d’ici,  à dépister le picotement sur la langue qui signale la présence du parasite.

Ici, la vie suit son cours paisiblement. Les gens sont accueillants, tout le monde se tutoie et dit bonjour en passant. 

Entre 1834 et 1871, sous l’impulsion des Pères Laval et Caret , la population des Gambier s’est rapidement convertie au Catholicisme et a contribué à construire une  cathédrale et une dizaine d’églises ou chapelle, au moins  une par île. Cette théocratie a entraîné la destruction des symboles et des rites païens et  une modernisation de la vie sur l’île , mais il lui est souvent reprochée d’avoir détruit la culture indigène et transformé la population en esclavage.  La religion tient toujours aujourd’hui une place importante dans la vie des Gambier.  La messe à la cathédrale le dimanche est un bel exemple d’une communauté soudée et fière de son patrimoine. Les chants sont magnifiques, occupent plus des ¾ de la messe et sont alternativement en Français et en Mangarévin, la langue locale plus proche du maori de Nouvelle-Zélande que du Polynésien.

La visite d'une ferme perlière

Les îles Gambier sont l’un des hauts lieux de la culture des fameuses perles noires.

 

Les perles noires, produites exclusivement en Polynésie, sont issues d’une espèce particulière d’huitres, Pinctada margaritifera, différente de celle utilisée pour les perles blanches qui proviennent d’Australie. Leur culture a été implantée aux Tuamotous et aux îles Gambier dans les années 70. On compte actuellement 50 fermes aux Gambier dont une vingtaine vraiment actives. La culture des perles est l’activité principale de l’archipel.

 

Nous avons visité la ferme perlière d’Eric, située sur l’île de Tarauru-roa. Eric a installé sa propre ferme sur cette île par ailleurs déserte, il a une dizaine d’années, après avoir travaillé sur l’une des plus grandes fermes de l’île principale, Mangareva.

 

Eric accueille chaleureusement les « voileux » de passage et leur fait volontiers visiter son installation. C’est un passionné exigeant, toujours à la recherche de nouvelles techniques pour améliorer le rendement et la qualité de sa production. Il ne se lasse apparemment pas d’expliquer les détails de ce métier encore très artisanal et minutieux.

 

La croissance des huitres perlières :

 

Les huitres qui vont être greffées sont des huîtres sauvages implantées sur les récifs par 30 à 50m de fond. Lors de la période de reproduction, les huitres relâchent leurs gamètes mâles et femelles en eau libre où aura lieu la fécondation. Il s’agit ensuite de capter les embryons dans des structures où elles pourront croître à l’abri des prédateurs. Ces petites huîtres en cours de croissance s’appellent le naissain.

 

Il y a encore une vingtaine d’années, les structures destinées à recueillir le naissain étaient fabriquées à partir de divers matériaux, morceaux de caoutchouc, vieilles chaussures mélangées à des fagots de bois... aujourd’hui, ces structures hétéroclites ont été remplacées par des boisseaux de un à deux mètres de long, ressemblant à des écouvillons, faits d’un tissu en plastique lâche et alvéolé, idéal pour offrir un abri aux jeunes huîtres.

 

Ces matrices sont reliées les unes aux autres par une longue corde, amarrée à des bouées en eau libre. Il faut 2 à 3 ans pour que les huîtres ainsi récoltées atteignent une taille suffisante pour être greffées.

 

La greffe

Arrivée à une taille suffisante pour être greffée, la jeune huître va être retirée de son support, et recevoir son premier noyau et le greffon, une opération très délicate.

Le noyau est une petite sphère de 5 à 11 mm de diamètre, en provenance du Mississipi où elle est fabriquée par une espèce particulière de moule qui a été soigneusement sélectionnée au cours des années. Le noyau est donc déjà un matériau noble. Finis les noyaux en plastique, aujourd’hui rigoureusement interdits.

L’huître est délicatement entrouverte avec un petit écarteur, puis on incise une région particulière du manteau appelée le « sac perlier » et on y dépose le noyau sphérique. Lors de cette première opération, le sac perlier va également recevoir le greffon.

 

Le greffon est une partie du manteau provenant d’une huître adulte, que l’on sélectionne pour la beauté et la couleur de sa nacre une fois ouverte. Dans ce manteau constitué de cellules épithéliales vivantes, il s’agit de découper un carré de deux à trois mm de côté que l’on insérera dans le sac perlier à côté du noyau.

Il est capital de bien choisir l’endroit où l’on prélève le greffon. Ce choix est déterminant pour le résultat final en termes de couleur, de brillant et d’homogénéité. Selon les cas on obtiendra une belle couleur bleue foncée avec des reflets verts, ou rouges, ou bien une couleur très sombre, chocolat, où au contraire bleu clair ou gris clair. Un mauvais choix peut aboutir à une perle striée ou de couleur inhomogène, qui aura beaucoup moins de valeur. Il est bien difficile de prévoir à l’avance le résultat et c’est là qu’intervient tout le savoir-faire du greffeur.

 

Après avoir été greffées, les huîtres perlières sont amarrées une à une à des sortes de grillages en plastique contenant chacun seize huîtres, qui seront immergés en pleine eau, également amarrés à des bouées. Au cours de leur croissance il faudra régulièrement les laver soigneusement à grande eau, voire individuellement à la brosse, toutes les 6 à 8 semaines. Un travail fastidieux mais essentiel. Eric estime qu’il n’a plus que 5% d’échecs dans la croissance des huîtres sur son parc.

 

Il faut deux ans pour que l’huître forme une épaisseur de nacre de 1 à 2 microns autour du noyau. Après quoi la perle est prélevée et un autre noyau est inséré, un peu plus gros que le précédent. Le greffon, lui, n’aura été mis en place que lors de la première greffe Chaque huître pourra ainsi recevoir successivement trois à quatre noyaux au cours de sa vie. Après quoi les huîtres sont vendues pour faire, à partir de leur nacre, des objets décoratifs.

 

La greffe est une affaire de spécialiste. Il y a actuellement quatre « techniciennes de greffe » dans la ferme d’Eric Les bons greffeurs viennent souvent de Chine, où certains apprennent le métier dès l’enfance ! Un greffeur expérimenté est donc très recherché et peut prétendre à un bon salaire. Il est cependant difficile de faire longtemps ce métier : quatre cent greffes par jour, rendez-vous compte ! De plus, les ouvriers sont en général hébergés sur place, donc éloignés de tout, et beaucoup doivent partir lorsque vient le temps de fonder une famille.

 

Quelques chiffres :

Chaque « écouvillon » de naissain abrite une cinquantaine d’huîtres, et il faut compter 30 à 50 de ces matrices sur chaque corde. Eric estime que le nombre d’huîtres à l’état de naissain est de 250 000 en moyenne dans sa ferme. Quant au nombre d’huîtres greffées, il l’estime également à 250 000 environ. On comprend pourquoi les parages de ces fermes perlières sont truffés de flotteurs et de bouées ! Gare à celui qui vient s’y aventurer en bateau ou en annexe, il risque d’être bien reçu !

 

La production est d’environ 140 000 perles par an, variable bien sûr en fonction de la qualité des greffes, des soins apportés aux huîtres, et de facteur climatiques encore mal connus. Seules 60% des perles ont réellement une valeur marchande

 

Les perles :

Elles sont nettoyées à l’eau claire, polies et triées. On compte cinq catégories de perles : elles sont appelées rondes, ovales, poires, baroques et striées par ordre de valeur décroissante. Chaque perle est unique et il est extrêmement difficile de les assortir ou de les apparier. Il faut plus de 3 000 perles pour en trouver deux à peu près semblables ! Leur prix est extrêmement variable, de quelques centimes pour une perle striée et irrégulière à plus de 100 Euros pour une belle perle parfaitement sphérique de 10mm, à la belle couleur bleu foncé et aux reflets verts… et il ne s’agit là que des prix à la production, pour un grossiste qui achètera quelques centaines de perles ! On n’ose pas toucher, mais quel plaisir pour les yeux de voir toutes ces merveilles étalées pêle-mêle sur une nappe blanches !

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© Carole Beaumont